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Rappel : état actuel des connaissances

La dénomination des pierres de lune est un sujet sensible qui anime le milieu de la lithothérapie depuis ses débuts. L’absence d’informations scientifiques précises dans ce domaine offre l’occasion à nombre de passionnés impatients, de se revendiquer expert en créant de toutes pièces des réponses plaisantes. Cet article nous invite à accueillir l’absence de réponses comme un état de fait, sans ignorer aucune des informations fiables à notre disposition.

Parmi toutes les pierres utilisées pour leurs bienfaits, les pierres de lune sont de loin celles qui font couleur le plus d’encre dans les débats d’appellations. Vous avez peut-être entendu parler de pierre de lune blanche, bleue ou arc-en-ciel. Vu passer au détour d’un partage des discours qui rappellent à l’ordre pour ne pas nommer certaines d’entre-elles pierres de lune mais plutôt labradorite blanche…

Toutes ces distinctions ont leur raison d’être tant les questions en suspens restent nombreuses et les réponses partielles et contradictoires. Mais nous disposons tout de même de certaines pistes fiables sur lesquelles nous appuyer pour y voir clair sur une part importante de cette histoire. Faisons le tour ensemble.

La famille des feldspath

Le défi à l’origine de tous les débats sur les pierres de lune nous vient d’une réalité première : La nature ne saurait se limitée à une classification quelle qu’elle soit. Et si notre minéralogie cherche autant que possible à préciser les contours de chaque variété de pierre, dans certains cas, elle est obligée d’opérer par groupe ou famille.

C’est le cas des feldspaths, famille dans laquelle on trouve un grand nombre de variétés différentes et de mélanges de minéraux aux apparences pourtant caractéristiques. La règle est simple en minéralogie : un minéral est constitué d’une unique maille élémentaire qui se répète uniformément dans l’ensemble de la masse. Uniquement dans ce cas, il y aura un nom minéralogique pour le définir.

La plupart des pierres caractéristiques des feldspath ne correspondent pas à cette description. Toutes celles connues du grand public sont des composites naturelles de plusieurs minéraux, des pierres à inclusions, ou encore des apparences spécifiques d’un minéral aux visuels plus vastes. Amazonite, pierre de lune, pierre de soleil, ou labradorite sont ainsi des noms d’usage pleinement intégrés en gemmologie (étude des pierres utilisées en joaillerie), bien qu’aucun d’entre eux n’apparaissent dans les livres ou bases de données de stricte minéralogie. On y trouvera en revanche des noms tels que microcline, orthose, sanidine, albite ou hyalophane, des feldspaths absents des étales des boutiques grand public et dont seule une poignée de professionnel des énergie des pierres ont eu vent.

La pierre de lune entre dans cette catégorie de pierres, puisqu’elle est un composite de plusieurs minéraux. En tant que tel elle ne peut disposer d’une appellation minéralogique nette, puisque la minéralogie la décrira grâce aux pourcentages et répartitions dans sa structure des minéraux qui la composent. Pourtant les apparences visuelles qu’elle nous propose sont uniques, très caractéristiques… alors comment la désigner lors de nos descriptions courantes, lors de nos échanges éducatifs ou commerciaux ? C’est là que la gemmologie vient à notre rescousse avec la possibilité d’intégrer des noms d’usage essentiels. “Pierre de lune” est par ce biais une réelle appellation reconnue.

Pierre de lune bleue, la divine des “adulaires”

Le nom d’usage des pierres de lune est premièrement associé à des feldspaths portant un reflet de surface uniforme, trouble, laiteux, que l’on nomme “adulaire”. Par association, ces pierres de lune elles-mêmes sont parfois appelées adulaire. Les principales variétés en circulation ont une couleur de masse blanche, orange ou grise, et un reflet de surface blanc (cf photo d’ouverture de l’article). Elles font partie d’une sous-catégorie des feldspaths appelés feldspaths alcalins et sont décrite par les minéralogistes P.Bariand, F.Cesbron et J.Geffroy dans “Les Minéraux, leurs gisements, leurs associations” (Hors série en trois tomes, Minéraux & Fossiles, 2006) comme une alternance de couches d’orthose et d’albite en différentes proportions selon les échantillons.

Parmi ces pierres à reflet blanc, certaines présentent un reflet léger, délicatement bleuté sur base blanche. La joaillerie se prend rapidement d’amour pour cette belle, tant pour sa rareté que pour sa nuance, et lui donne le nom de pierre de lune bleue. On ne la trouve pas souvent, et de grandes fortunes la désirent… sa légende est lancée et attirera les convoitises jusqu’à nos jours.

Pierre de lune bleue brute

Formée en feuillets, la nuance de bleue serait liée à une prédominance de l’albite sur l’orthose, contrairement à celles aux reflets blancs.

Reflets nuancés

La couleur bleue y est très peu prononcée. On la verra devenir nette sous une forte lumière directe, pour une impression plus “givrée” à lumière ambiante.

Rareté et spéculation

Peu présente dans les sols, appréciée de la joaillerie or, la pierre de lune bleue fait grimper les prix pour se classer dans les feldspaths de prestige.

Généralisation d’une nouvelle arrivante

Mais les feldspaths sont une famille riche, et une autre pierre aux reflets incroyables y trouve une grande place : la Labradorite. On trouve dans les riches lumières à sa surface, les labradorescences, des bleu, des vert, des jaunes et des orange… On comprend aisément que cette belle se soit installée dans le cœur des utilisateurs de pierres. On la trouve en grandes quantités, à tarifs abordables, et la minéralogie la classe dans les feldspaths plagioclase, catégorie bien distincte des pierres de lune. Aucun risque de la confondre avec ces dernières, sa masse brun-gris la rend très différentiable.

Dans les mêmes régions, en quantités moindres mais toujours plus importantes que celles de la très rare pierre de lune bleue, apparaît à la fin des années 90 une variété de feldspath blanc aux reflets, entre autres, bleu. La plupart des échantillons ont une apparence différente de celle de la pierre de lune bleue, aux inclusions plus marquées, moins homogènes, et aux reflets plus prononcés pouvant présenter différentes couleurs. Abordable et plaisante à l’œil, cette nouvelle pierre à tout pour plaire, mais très vite un problème se pose : Les échantillons purs à reflets bleus sont isolés volontairement pour faire penser à la pierre de lune bleue et jouer de l’amalgame.

Des reflets arc-en-ciel

Naturellement ornée de belles et multiples couleurs, elle porte des reflets similaires à ceux de la labradorite et se forme dans des régions proches.

Sélection volontaire du bleu

Le reflet bleu peut y être sélectionné par un travail de taille pour approcher de l’apparence de la pierre de lune bleue avec une couleur plus marquée.

Cherchez bien...

Il se peut que les possibilités enfouies de cette modeste reine se cachent aux yeux indiscrets. Ici des reflet jaune et orange sur un bord de l’arrière.

Quelle appellation choisir ?

L’écart de disponibilité, les provenances et les légères différence visuelles identifiables avec une riche expérience de la gemmologie ne laissent pas de doute : La pierre de lune bleue et cette nouvelle variété qui envahit le marché des bijoux en argent ne sont pas le même feldspath. Alors quel nom lui donner ? A ce sujet nous sommes laissés livrés à nous-même, la gemmologie n’adoptant pas la nouvelle dans ses rangs. Par sa diffusion, on lui attribue petit à petit le nom de “Pierre de lune arc-en-ciel” et pour bien marquer la différence, votre humble autrice généralisait Dans les années 2010-2011 le nom “Labradorite blanche” au travers du défunt blog juliaboschiero.com.

La confusion générée par ce grand flou des noms était immanquable, d’autant plus que l’enjeu financier est omniprésent. Assimiler la nouvelle venue à la pierre de lune bleue permet de valoriser radicalement une pierre à la production plus aisée. Plus le public pensera qu’elle est une pierre de lune plus il sera facile de faire monter les prix des belles qualités pour l’intégrer petit à petit à la haute joaillerie qui la boude !

Notre principal problème reste le doute. Si nous savons d’évidence qu’elle n’est pas la pierre de lune bleue, les expertises de laboratoire coûtent très cher et sont mobilisées pour des variétés de pierres elles aussi onéreuses. La pierre de lune bleue ou ce que l’on suppose en être est testé, mais les échantillons manifestement arc-en-ciel sont simplement ignorés (*toute ressemblance avec notre situation sanitaire actuelle serait purement fortuite*). Qu’est-ce que cette fameuse Labradorite blanche ? Nous n’en avons que des hypothèses.

Et les disciplines énergétiques dans tout cela ?

Qu’on se le dise, les utilisations énergétiques des pierres n’ont pas encore les bases de discipline et de cohésion raisonnable pour constituer une autorité à même d’être écoutée et entendue dans le monde ! Lorsqu’une pierre est valorisée dans notre milieu, le processus est systématiquement le même :

  • Les spiritualités libres (nouvel-âge et affiliées) s’emparent d’une pierre à même de plaire au public et lui associe des propriétés correspondant à une forte demande du moment.
  • L’enthousiasme s’émulsionne dans un grand nombre de communautés de bienveillance, d’amour et de lumière.
  • La même information non vérifiée se retrouve copié-collé à la faute d’orthographe près sur des dizaines de site aux quatre coins de la toile.
  • La pierre élue devient rapidement un symbole de cohésion entre les gens éveillé, toute remise en question, nouvelle information, ou preuve devenant une attaque (si vous n’êtes pas d’accord, vous n’êtes pas spirituel).

Ce schéma se répète depuis des décennies pour différentes pierres. Il a légèrement touché la pierre de lune arc-en-ciel au début des année 2000 et a donné une première ampleur aux confusions à son sujet. Il se répète aujourd’hui sur cette même pierre au travers d’une nouvelle appellation, mais nous y reviendrons plus tard.

Le fait est que nous n’avons pas actuellement d’études rigoureuses sur la variété de feldspath blanc la plus présente dans nos commerce et la plus populaire dans le cœur des utilisateurs. Elle n’est pas la seule touchée puisque la très appréciée pierre de lune noire de Madagascar souffre de la même absence d’observations.

A Lithosophia nous continuons de défendre le terme de Labradorite blanche, permettant une meilleure distinction et donc une meilleure canalisation des abus de tarifs. Nous utilisons régulièrement le terme de Pierre de lune arc-en-ciel pour permettre aux néophytes de se repérer plus aisément. Tout cela reste dans l’attente d’une meilleure connaissance de cette pierre (ou de ce groupe de pierres peut-être) si les moyens techniques venaient à être accessibles pour nous ou d’autres intervenants déterminants du milieu.

La labradorite blanche est également plus appréciée que la pierre de lune bleue en lithosophie en raison de ses grandes chances d’être intégralement triclinique. La pierre de lune bleue quant à elle est minéralogiquement décrite comme un mélange de systèmes cristallins triclinique et monoclinique, moins efficace en influences énergétiques que chacun des systèmes isolés et utilisés dans le bon cadre.

Péristérite, la nouvelle vague

Si cet ancien débat auquel la science refuse ses faveurs refait surface, c’est en raison de l’installation d’un nouvelle appellation. La Péristérite. Avec une rapide recherche sur les internets, on se rend compte que ce nom remplit actuellement les critères d’une émulsion spirituelle… souhaitant acquérir une légitimité minéralogique ! Beaucoup de sites de lithothérapie en parlent, décrivent les propriétés de cette pierre, et associent le nom aux photos de la labradorite blanche et critiquent l’utilisation des appellations précédentes. De plus le mouvement a été initié par Totem Turquoiseau, une Youtubeuse que j’affectionne particulièrement et que je sais très bien intentionnée, mais qui ne maîtrise pas encore les distinctions entre nom minéralogique, nom admis en gemmologie, ou nom d’usage grand public. Le son de cloche paraît unanime et il serait normal pour tout nouvel arrivant de prendre l’information pour acquise… C’était sans compter sur les vieux de la vieille (oui on a 30 ans et alors ?) qui ont acquis quelques réflexes…

Vous l’aurez compris, une masse de sites qui se confortent les uns les autres sans échanges d’arguments n’est pas particulièrement bon signe dans notre domaine. Il nous faut donc faire appel à des sources plus officielles. Le nom de péristérite ne se retrouve pas dans les bases de données de stricte minéralogie, ni dans les ouvrages récents de la minéralogie française (Les Minéraux de J-C.Bouillard ; Minéraux de J.Lebocey), sources susceptibles d’avoir référencé une nouvelle appellation. Rien d’étonnant dans ce silence, on se rappelle que les feldspaths à reflet ne sont pas des minéraux homogènes et nécessitent des noms d’usage… Tout comme les autres noms de pierres de lune, l’appellation péristérite nous vient probablement de la gemmologie et non de la minéralogie.

La seule source citant la péristérite est le site les plus utilisés par la communauté pierres au global, Mindat, qui la décrit comme une variété d’albite avec une légère iridescence (que l’on trouve sur certaines amazonites) et parfois adulescence (reflet typique des pierres de lunes adulaires). Le site utilise des termes comme “léger”, “parfois” qui indiquent des cas spécifiques dans une pierre, l’albite, déjà bien connue dans ses formes blanches opaques. Les photos utilisée ne sont clairement pas celles de la labradorite blanche contrairement aux sites de lithothérapie qui copient en boucle cette information. De plus il n’est fait aucune mention de la labradorescence, caractéristique incontournable de la labradorite blanche. Dans un site où les précisions minéralogiques sont de mises, l’information est claire ! Le terme de péristérite ne désigne pas notre feldspath blanc aux reflets arc-en-ciel. Notons à ce propos que la vidéo initiale de Totem Turquoiseau relaye avec exactitude ces informations, le soucis apparaissant comme pour les sites de lithothérapie au moment de l’association visuelle. Attention, une partie uniforme de labradorescence n’est pas un reflet adulaire, et les deux ne sont pas à confondre !

Il est précisé également dans l’article de la pierre de lune (bleue) qu’elle se distingue de la péristérite qui bien que similaire en apparence, est un plagioclase et non un alcalin. Nous sommes donc face à des recherches qui limitent encore le champ de la pierre de lune “officielle” en distinguant des variantes qui ont des apparences proches mais avec des caractéristiques minéralogiques distinctes. Le terrain de la pierre de lune bleue se précise, celui de la labradorite blanche reste tout aussi obscur.

Il est frustrant de ne pas savoir, de ne pas avoir les moyens d’enrichir sa connaissance. Les disciplines énergétiques ne peuvent tout simplement pas affirmer avec clarté la nature d’une pierre qui leur tient pourtant à cœur. Devons-nous pour autant verser dans la désinformation et nous parer d’une fausse image d’experts aussi facile à démonter pour des connaisseurs ? Non surement pas. Si les doutes et débats autour des appellations des pierres de lune doivent nous apprendre quelque chose, c’est bien que l’avancée constructive de nos disciplines ne saurait se faire sans de réelles compétences scientifiques et de brillants intellects à même d’enrichir nos intuitions. Les esprits éclairés font cruellement défaut à nos rangs et montrent les limites de nos capacités. Alors si ces déchirements incessants depuis maintenant au moins 10 ans tentaient de nous passer un message ? “Bienveillance sans conscience n’est que ruine de l’âme”.

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